Propos recueillis
par Pape Nouha SOUANE-Journal le Quotidien
Le retour de Abdoulaye Wade est sur toutes les lèvres. Dans le journal L’As d’hier, l’ancien Président appelle à des retrouvailles libérales, caresse Bathily et Dansokho, gifle Macky Sall et son régime… Yoro Dia lit la sortie de Wade entre les lignes.
Le retour de Abdoulaye Wade est sur toutes les lèvres. Dans le journal L’As d’hier, l’ancien Président appelle à des retrouvailles libérales, caresse Bathily et Dansokho, gifle Macky Sall et son régime… Yoro Dia lit la sortie de Wade entre les lignes.
Abdoulaye Wade a lancé un appel à des retrouvailles libérales. Quelle lecture en faites-vous ?
Sur le principe, je pense qu’il a raison. Le débat politique national a besoin de clarification. En 2000, c’était du «tout sauf Diouf». Il y avait une large coalition de Libéraux, de communistes, d’extrême gauche contre Diouf. En 2012 aussi, c’était le même mot d’ordre : «tout sauf Wade». Et c’est parce qu’il n’y a pas de clarification du débat politique. Le débat que pose Wade est intéressant. Je pense que notre démocratie est suffisamment mûre pour que, quand il y a débat, que celui-ci soit programmatique ou axé sur les idées. Aux Etats-Unis, le débat, c’est essentiellement entre les Républicains et les Démocrates. En France, c’est entre la Gauche et la Droite. Et aussi longtemps qu’on n’aura pas clarifié le débat, ce sera toujours une question de personnes du genre «tout sauf Wade», «tout sauf Diouf» ; ce qui nous fait perdre beaucoup de temps. Donc, on oublie les contradictions secondaires pour faire partir la contradiction principale. Avec Wade aussi, c’était la même chose. Et aujourd’hui, si on clarifie le débat politique, il y aurait un pôle libéral (Pds, Rewmi et Apr), un pôle socialiste se réclamant de Senghor ou de Karl Marx (Ps, Afp et Urd), un pôle nationaliste (Rnd) et, enfin, un grand pôle que Wade appelle de façon intéressante «le pôle conservateur», c’est-à-dire les religieux. Mais je pense que c’est important, comme ça quand on va avoir des élections, les gens identifieront les projets des Libéraux, tout comme les Socialistes. Ça, c’est dans la théorie ; dans la pratique, la personne qui a le plus contribué à amener la confusion, c’est Abdoulaye Wade. Autrement dit, ce qu’il théorise là en tant que nouvel opposant, il ne l’a pas pratiqué. Abdoulaye Wade est le seul au Sénégal à s’être allié à tout le monde. Il a été ministre d’Etat de Abdou Diouf dans les années 1990. En 2000, il s’est appuyé sur l’extrême gauche (Abdoulaye Bathilty, Amath Dansokho, etc.) pour arriver au pouvoir. Mais c’est lui qui a le plus brouillé ce qu’il appelle «clarification» du débat politique.
Mais, avec la traque des biens dits mal acquis, est-ce que le contexte est favorable pour que l’appel de Wade soit entendu ?
Bien évidemment, le contexte n’est pas favorable. Mais quand les gens auront fini de rendre compte de leur gestion, il me semble que ce débat important se posera entre Libéraux.
Que pensez-vous des critiques de l’ancien Président contre la gestion de son successeur ?
Mais, c’est normal ; c’est de bonne guerre ! A mon avis, c’est cela le grand écart entre Abdoulaye Wade et Macky Sall. Le chef de l’Etat actuel a fait une déclaration très maladroite au Burkina Faso en disant : «Ma mission première, ce n’est pas de construire des routes.» C’est freudien et psychologique parce que Macky Sall est hanté par Abdoulaye Wade. Il ne peut pas dire : «Je suis élu pour faire un Etat de droit.» Ce n’est pas de l’ambition. Et puis, quoi qu’on dise, quand même, le Sénégal à un Etat légal. Macky Sall ne peut pas nous faire perdre 5 ans sur les questions d’Etat de droit. Au contraire, il a été élu pour régler la question économique et qui dit question économique, pense aux infrastructures. Donc, pour moi, le pari perdu de Macky Sall, c’est de vouloir coûte au coûte enlever Abdoulaye Wade de l’histoire du Sénégal. Quand il dit : «Je n’ai pas été élu pour faire des routes.» Mais il s’adresse directement à Wade. Wade, quand même, est le Président du Sénégal qui a laissé sa marque, sa trace dans le béton. C’est-à-dire d’ici 50 ans, personne ne pourra l’enlever de notre histoire sur le plan des infrastructures et même sur le plan politique. Abdoulaye Wade a fait 27 ans d’opposition. Et pendant toute cette période, la vie politique tournait autour de lui. Quand il est devenu Président, c’était aussi le cas. Et depuis qu’il est parti, on a l’impression qu’il y a un grand vide. Macky Sall ne doit pas être obsédé par le spectre de Abdoulaye Wade. Il a dirigé le pays pendant 12 ans. Il a eu de l’ambition pour le pays et doit aussi définir une nouvelle frontière. Même si Abdoulaye Wade a mis l’Etat à terre, il a construit des édifices ; ce que Diouf n’a pas fait en 20 ans. Il a transformé le visage de Dakar ; Macky Sall doit avoir l’ambition de transformer l’intérieur du Pays : la Casamance, Tambacounda, Sédhiou, etc.
Ces retrouvailles libérales auxquelles Wade appelle ne peuvent pas donc être entendues ...
Non, elles n’ont aucune chance d’être entendues. C’est un vœu pieux. Quand on dit retrouvailles libérales, tout le monde sait que le Pds était dans l’opposition et je pense que nous avons fini avec l’ère de la transhumance massive. Je vois mal le Pds rallier l’Apr ou Idrissa Seck, qui se positionne déjà pour la Présidentielle de 2017, aller à Canossa pour se fondre dans l’un et l’autre parti. Je pense, au contraire, que les disparités vont continuer, parce que Rewmi et Apr, c’est le Pds. Wade fait de la politique et il n’a fait que ça dans sa vie. Il prépare son retour ou son appel.
Quand il magnifie la posture de Bathily et Dansokho, ses ex-ennemis jurés, et critique Tanor, quel message veut-il envoyer ?
Je pense qu’il est sincère. Wade a toujours eu une admiration pour Dansokho et Bathily. Même si sur le plan idéologique, il est radicalement contre les communistes, il a toujours eu de la considération pour le combat de l’extrême gauche pour l’ouverture démocratique. Dans les années 70, il y avait une sorte de division du travail : Abdoulaye Wade était l’opposition légale et les autres l’opposition classique. L’un dans l’autre, c’est cette alliance entre l’opposition légale du Pds et l’opposition clandestine de l’extrême gauche qui a permis de desserrer le régime de Senghor. C’est cela qui a été à l’origine du multipartisme intégral en 1980. Comme il l’a dit, Bathily et Dansokho sont des «patriotes». On n’a pas les mêmes idées, mais on a au moins en commun l’amour pour le pays. Par contre, Wade a toujours pensé, à la limite, que le seul adversaire politique qu’il avait, c’était le Parti socialiste. Autant Macky est hanté par Wade, autant Abdoulaye Wade a toujours été hanté par le Ps.
Quel accueil le camp présidentiel pourrait-il réserver à l’appel de Wade et à son retour ?
Aujourd’hui, si Macky Sall fait appel au Pds, les gens vont dire que c’est un débat politique pour faire arrêter la traque des biens mal acquis. Je pense que ce qui est normal dans un pays, c’est que ceux qui gagnent les élections gouvernent, ceux qui les perdent s’opposent. Quand des opposants reviennent au pouvoir par des coalitions, on peut le considérer comme un détournement de suffrages. C’est pourquoi ce qui est intéressant dans le débat lancé par Wade, c’est cette clarification idéologique et politique. Cela peut permettre de régler la question des 100 partis. Et, sur ce plan, même s’il l’avait lancé il y a 30 ans, Senghor avait raison en limitant les courants de pensée à quatre : communiste, libéral, socialiste, nationaliste
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