La romancière britannique est décédée le 17 novembre 2013 à l'âge de 94 ans. En 2007, elle avait été recompensée du Prix Nobel de littérature. Le quotidien The Guardian l'avait rencontrée à cette occasion.
Doris Lessing peut être féroce. Mais ce matin, comme on peut l’attendre d’une dame de 88 ans qui vient de recevoir la plus haute récompense littéraire du monde, elle est tout sucre tout miel.
Les escaliers de sa vieille maison de West Hampstead [au nord-ouest de Londres] sont jalonnés de bouquets de fleurs. A l’étage, le salon – dont j’avais gardé l’image d’une pièce un peu lugubre, encombrée d’immenses piles de livres et de magazines ainsi que de tableaux et de tapisseries oppressants – est aujourd’hui égayé par des fleurs, toutes dans des tons orange et rouges. “Visiblement, on m’associe au crépuscule”, commente l’écrivaine. Malgré le tourbillon des dernières vingt-quatre heures, nous sommes seules, même si le téléphone, réglé sur une sonnerie stridente (Doris Lessing est atteinte d’une légère surdité), ne cesse de retentir au gré des appels de félicitations. Le plus réjouissant a été celui de son héros Gabriel García Márquez, dit-elle avec une joie non dissimulée.
Le grand favori de cette année 2007 (à sept contre deux), Philip Roth, grand monsieur de la littérature follement prolifique, provocateur et controversé, célèbre pour ses écrits sur la masturbation, la politique et les névroses masculines, a donc été battu par l’outsider (à cinquante contre un), grande dame de la littérature follement prolifique, provocatrice et controversée, célèbre pour ses écrits sur la menstruation, la politique et les névroses féminines. Comme tous les médias l’ont souligné, Doris Lessing est seulement la onzième femme récompensée par le Nobel de littérature depuis sa création en 1901.
Une grande victoire pour les femmes de lettres ? “Je déteste parler de littérature en termes d’hommes et de femmes. Cela n’a pas grand intérêt.” Elle regrette toutefois que Virginia Woolf n’ait pas été primée. Si Doris Lessing n’est pas un choix si surprenant, c’est peut-être parce qu’elle est avant tout une écrivaine d’idées et d’idéaux. Postcolonialisme, communisme, féminisme, mysticisme – rares sont les -ismes du XXe siècle auxquels elle n’ait pas été associée, à juste titre ou non. “Eux, là-bas”, dit-elle avec un large geste de la main, “ils aiment les étiquettes, ça leur simplifie la tâche.” Pourquoi, à son avis, a-t-elle fini par obtenir le prix, alors qu’elle est donnée favorite depuis quarante ans ? “Sans doute parce que j’ai écrit de beaucoup de façons différentes, sans jamais me dire que je n’en avais pas le droit. Cela fait une liste impressionnante.”
Une effronterie politiquement très incorrecte
Autre lauréat du Nobel, J. M. Coetzee voit en elle “l’un des grands romanciers visionnaires de notre temps”. On oublie souvent que Doris Lessing a été une pionnière tant du point vue formel que du point de vue des idées, sa prose ayant évolué du réalisme humaniste des premiers romans à une phase intermédiaire fantastique. Avec cet esprit de contradiction qui la caractérise, elle tire sa plus grande fierté de son cycle de science-fiction Canopus dans Argo, qui dérouta plus d’un critique. “Je crois que cette série figure parmi ce que j’ai écrit de mieux. Ce sont des expérimentations. Le problème, c’est qu’il ne faut jamais sous-estimer le conservatisme des gens de lettres… A la parution du Carnet d’or,personne n’a remarqué que j’utilisais là une forme des plus intéressantes, ils étaient bien trop obsédés par le fait que j’étais censée être antihommes.”
Doris Lessing semble prendre un malin plaisir à tourmenter ses “sœurs” en affirmant, avec une effronterie très politiquement incorrecte, le déterminisme biologique et les différences intrinsèques entre les sexes. Source http://www.courrierinternational.com/
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